http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/32/97/10118/Explosion-des-sens-au-palais-Manial.aspx
Le prince Mohamad Ali Tewfiq s’inscrit alors avec le style mauresque de son palais, à contrepied de cette tendance. Sur une stèle à l’entrée du palais, il a fait inscrire la phrase : « Mohamad Ali, fils du feu khédive Tewfiq, a bâti ce palais pour honorer les arts islamiques ». Le ton est donné. Il convoque l’entrepreneur et donne le coup d’envoi à la construction qui dure jusqu’en 1929 sur un terrain de 61 711 m2, dont 500 bâtis et 34 000 de jardins prasemés de 22 711 mètres de chemins et traverses. D’un raffinement extrême, le palais est un joyau fait de détails étudiés avec minutie. C’est le prince lui-même qui en a mis les dessins. « Le prince, qui a fait des études militaires, est aussi ingénieur et un grand érudit. Il était également le président du Croissant-Rouge égyptien », commente le directeur du musée Mohamad Ali, Ezzat Mohamad.
A seulement quelques kilomètres du Caire européen du khédive Ismaïl, le choix du site est judicieux, en pleine verdure sur l’île de Roda dans le quartier de Manial. A l’époque, le terrain qui appartenait à la famille royale a été vendu à un Français et le prince a dû le racheter en 1902 pour y réaliser son projet. Depuis le départ, il avait une vision culturelle pour son oeuvre. « A l’époque déjà, son palais et ses jardins étaient ouverts à la visite du public. En 1929, les travaux sont terminés, et en 1930, le prince décide qu’à sa mort, le palais se transforme en musée », fait remarquer le directeur du musée. Amoureux des arts, très fin collectionneur, le prince a fait venir les pièces de son palais des quatre coins du monde. La salle Shamia, en référence à la Syrie, a été décorée par les boiseries de l’ancien palais syrien Al-Azama. Amoureux des chevaux, il veillait à sélectionner les plus beaux pur-sang arabes pour son écurie. Leurs descendances sont encore répertoriées partout à travers le monde.
Drôle de destin que celui de ce prince très imprégné de la culture occidentale, mais également très enraciné dans sa culture. C’est comme si toute sa vie il avait été l’homme des rendez-vous manqués, surtout avec le trône d’Egypte. Il était prince héritier jusqu’à ce que Farouq vienne au monde. Or, à la mort du roi Fouad Ier, le roi Farouq n’avait pas encore l’âge légal pour accéder au trône, c’est pourquoi le prince Mohamad Ali devint régent du trône. Les livres historiques racontent que la famille royale a obtenu une décision du cheikh d’Al-Azhar qui lui permit de compter l’âge de Farouq en années de l’hégire, qui sont plus courtes que les années grégoriennes. Et c’est ainsi que la période de régence du prince Mohamad Ali a été écourtée. De la sorte, la famille royale évita que le prince Mohamad Ali ne s’empare du trône. Est-ce pour cela qu’il s’est fait construire dans son palais la fameuse salle du trône ? « Très étonnante est cette salle construite presque dans l’arrière-cour du palais et où ne figurent ni le portrait du roi Fouad Ier, ni celui de Farouq », relate Magued Farag, spécialiste de la famille royale égyptienne. Effectivement, cette salle paraît comme une tache insolite dans ce palais. Rectangulaire, elle est ornée de tableaux des rois de la dynastie de Mohamad Ali pacha.
Sur le plafond et les fauteuils rouges, le sigle de la dynastie : le fameux soleil avec ses rayons qui se dégagent en lignes droites. Et un trône avec, de part et d’autre, de magnifiques chandeliers qui s’élancent vers le plafond. Cette salle résonne comme un cri étouffé du prince qui s’est vu « privé du trône de l’Egypte ». Or, ce cri même étouffé a traversé le temps, tout comme son palais qui a connu après sa mort, à Lausanne (Suisse) en 1954, plusieurs vicissitudes. Après la Révolution de 1952, les commissions de la gestion des biens restitués, dépendant du ministère des Finances, ont fait le tri des objets au sein du palais pour les remettre en 1955 à l’autorité des antiquités et l’ouvrir au public. Mais en 1964, une société hôtelière a obtenu le droit de jouissance sur la salle de l’accueil à l’entrée du palais et la salle dorée (encore fermée au public actuellement). Cette attaque hôtelière a duré jusqu’en 1984, lorsque le Conseil des ministres a pris une décision d’inscrire le palais au registre des antiquités. En 2005, le palais est fermé à la visite pour entamer un vaste programme de restauration, notamment celle du plafond de la salle du trône.
Aujourd’hui, le prince Mohamad Ali peut enfin se réjouir. Son voeu de voir son palais ouvert au monde est exaucé. Il n’a certes pas inscrit son nom dans la lignée des rois d’Egypte, mais ce palais lui a garanti la postérité.
Gamme variée
Des étudiants des beaux-arts s’agitent comme des fourmis dans chaque recoin du Palais Mohamad Ali, armés de leurs feuilles canson, de leurs crayons, et surtout de leurs appareils photo. Ils s’échinent à reproduire les arabesques, les vergetures des mosaïques multiples, les ciselures sur les surfaces en cuivre. La gamme de choix est variée, art persan, ottoman, mamelouk et maghrébin. Le palais est un hymne à la beauté, au luxe et à l’art. Il se visite en deux dimensions. Il y a d’abord le regard qui tombe sur un tourbillon de couleurs, de matières, d’ombres et de lumière. Puis vient la seconde dimension où mis dans l’air du temps, le visiteur commence à scruter les détails ici et là : un plafond finement décoré, d’où tombent des dentelles en bois comme des stalactites, un recoin au fond d’une pièce, dont la surface ne dépasse pas le quart de mètre et qui, à lui seul, est une pièce de maître. Quand vous rentrez dans la salle d’accueil dans la résidence du prince, vous baignez déjà dans une atmosphère feutrée qui suggère à l’esprit les après-midi de l’Andalousie d’antan. Le prince amoureux de littérature et d’arts a consacré de larges salons aux rencontres avec l’élite de la société d’époque. La salle des deux miroirs, appelée ainsi à cause des deux gigantesques miroirs qui se font face, semble encore résonner au son des lectures de poésie, aux discussions politiques. Les murs, comme dans la presque totalité de la demeure, sont recouverts de mosaïque aux résonances maghrébines. Dans le salon bleu, la mosaïque est unie, la pièce est plus calme, c’est le lieu de travail du prince. En ressortant vers le hall d’entrée, n’oubliez pas de lever la tête vers le haut des portes d’entrée. De superbes niches qui donnent l’air d’avoir été sculptées dans un roc de mosaïque bleue. Comme une fleur qui vient juste d’éclore. Rien n’est laissé au hasard par le prince. Le moindre recoin est étudié et conçu comme une oeuvre d’art à part.
Dans l’intimité
A l’étage, l’ambiance moucharabieh et arabesque continue et les murs offrent de nouvelles nuances de mosaïque, et puis on entre dans l’intimité du prince, sa chambre à coucher. Là, tout à coup, on bascule vers un tempo épuré. Toute la fioriture de mosaïques, de couleurs et de formes disparaît. On dirait la loge d’un ascète. La chambre du prince offre des murs sans aucune décoration, avec au centre un lit en cuivre entouré d’un moustiquaire monté sur une charpente en bois. Un autre mystère de la personnalité de ce prince connu également pour ses nombreux voyages à travers le monde, qu’il a décrit dans plusieurs ouvrages, dont celui sur son voyage en Bosnie et celui sur le Cham (Syrie, Liban). Il notait également ses impressions sur l’Egypte de son époque. Il raconte dans l’un de ses livres à ce sujet comment les Egyptiens de son époque fêtaient le mouled du prophète avec des derviches qui avalaient des serpents et des morceaux de verre, alors que d’autres tenaient dans leurs mains des barres de fer chauffées à blanc. Ses livres n’ont jamais été réédités.
A côté de sa chambre, celle d’Alice, décrite sur la pancarte du musée comme la gouvernante de la résidence. « C’était plutôt sa compagne, mais on ne sait pas pourquoi il ne l’a jamais épousée », note Magued Farag, le spécialiste de la famille royale égyptienne. « Le prince était pieux, il l’a épousée », rectifie le directeur du musée. Mais pourquoi alors la décrire sur la pancarte comme gouvernante ? Question de moralité ? « En quoi ces détails sont-ils importants pour le public ? », rétorque le directeur.
Loin de là, la petite mosquée offre au visiteur un panel de sculpture sur bois et de superbes vitraux. L’ambiance aux abords est à l’architecture maghrébine avec une tour appelée la tour de la montre qui fait également office de minaret. Les aiguilles de cette montre en haut de la tour sont en forme de serpents. Encore un clin d’oeil du prince ? Les serpents étant connus religieusement pour leur malveillance, pourquoi rampent-il sur un minaret ? Ou alors le temps est-il un serpent qui s’enroule sur l’être ?
A l’entrée de la mosquée, une stèle en mosaïque rend hommage aux maîtres d’oeuvre de l’ouvrage magnifique qu’est le palais. Le maître de la céramique importée dans sa totalité d’Istanbul, celui des tapisseries et l’entrepreneur des travaux.
Désormais au milieu du tumulte du Caire, le palais gît dans une verdure luxuriante, d’arbres et de plantes que le prince a choisis avec soin en faisant plusieurs voyages à travers le monde, accompagné de son jardinier. Un jardin unique au Caire avec une immense variété d’espèces. Le seul bémol de la visite est le manque d’informations mises à la disposition des visiteurs assoiffés de connaître les détails de ce palais. Aucune brochure, et le personnel sur place est mal formé. « Ils devraient mettre à notre disposition des guides. Il n’y a personne pour nous donner des informations », se lamente une sexagénaire qui a fait avec sa fille un long trajet pour voir les trésors du Palais de Mohamad Ali.
Palais de Mohamad Ali.
Rue Saraya. Quartier de Manial, au Caire.
Ouvert tous les jours de 9h à 16h.
Tarifs 5 L.E. pour Egyptiens
50 L.E. pour étrangers résidents
100 L.E. pour les touristes
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